Transmettre sa société : quel coût fiscal et comment se préparer ?

Plusieurs solutions s’offrent, sur le plan fiscal, au dirigeant soucieux d'organiser la transmission à titre onéreux de sa société d'une manière qui en assure la continuité. Les dispositions à prendre et les conséquences fiscales qui en résultent diffèrent selon que le dirigeant souhaite, ou non, conserver provisoirement ce rôle ou des intérêts dans l'affaire.

La transmission de sociétés est essentielle. Or, à l’heure actuelle, plus de 25 % des dirigeants de PME ont plus de 60 ans (Rapport d’information Sénat n° 33, 7-10-2022). La crise, sanitaire et économique, rend le contexte encore plus complexe qu’auparavant, de nombreux dirigeants étant ainsi enclins à céder leur société plus tôt que prévu, accélérant le processus naturel des départs. On constate également souvent un manque – voire une absence – d’anticipation de la part des dirigeants cédants. Certaines sociétés sont ainsi cédées parfois trop tardivement, ou ne sont pas cédées du tout, ou encore de manière trop précipitée, sans une analyse approfondie des enjeux fiscaux en présence.

Pour toutes ces raisons, il nous paraît utile de faire le point sur les différentes solutions qui s’offrent à tout dirigeant qui souhaite transmettre sa société. Avant d'indiquer les mesures qu'il peut lui être utile de prendre pour préparer la transmission de son entreprise exploitée en société, il importe de bien appréhender les conséquences fiscales de la cession du contrôle d'une société dans l'hypothèse, la plus fréquente, où celle-ci a la forme d'une société anonyme ou d'une SARL.

Cession de titres : quel régime fiscal ?

Une imposition de la plus-value

PFU, sauf option pour le barème progressif. La cession des titres d'une société passible de l'impôt sur les sociétés (IS) entraîne l'assujettissement de la plus-value réalisée au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 12,8 %, auquel s'ajoutent les prélèvements sociaux (CGI art. 200 A, 2). S'il estime y avoir intérêt, le cédant peut toutefois opter pour l'imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu de l'ensemble de ses plus-values et revenus mobiliers.

Des abattements. L’option pour le barème progressif lui permet de conserver, sous réserve de respecter certaines conditions, le bénéfice de certains abattements.

Ainsi, dans ce cas de figure, la cession de titres acquis ou souscrits avant le 1-1-2018 lui ouvre droit :

  • à un abattement pour durée de détention fixé à 50 % entre 2 et 8 ans de détention et à 65 % au-delà (CGI art. 150-0 D, 1 ter) ;
  • ou à un abattement renforcé de 50 %, 65 % ou 85 %, selon la durée de détention, en cas de cession de titres d'une PME acquis ou souscrits dans les 10 ans de sa création (CGI art. 150-0 D, 1 quater).

Par ailleurs, le dirigeant qui opte pour l'imposition au barème progressif peut également bénéficier de l'abattement fixe de 500 000 € en cas de départ à la retraite (CGI art. 150-0 D ter), cet abattement étant indépendant du régime d'imposition des plus-values (PFU ou barème progressif). Mais cet abattement ne peut se cumuler avec un abattement proportionnel. Le contribuable qui remplit les conditions pour bénéficier d'un abattement fixe et d'un abattement proportionnel doit effectuer un choix entre ces deux avantages.

Les abattements s'appliquent après imputation, le cas échéant, des moins-values enregistrées la même année ou au cours des 10 années précédentes.

Un report d’imposition possible

Dans le cas où le dirigeant souhaite réinvestir tout ou partie du produit de la cession dans l'acquisition de nouveaux titres, il peut bénéficier d'un report d'imposition des plus-values :

  • soit en faisant préalablement apport des titres destinés à la vente à une société holding ;
  • soit en déposant ces mêmes titres sur un compte PME innovation.

À noter. Les titres de capital ou les parts sociales d'une société peuvent être apportés à titre gratuit et de manière irrévocable à un fonds de pérennité ou à une fondation reconnue d'utilité publique. La plus-value réalisée lors de cette transmission peut bénéficier, sous certaines conditions, d'un sursis ou d'un report d'imposition.

Interposition d'une société holding. En cas d'apport de la participation à une société de capitaux contrôlée par l'apporteur, la plus-value résultant de l'échange des titres fait l'objet d'un report d'imposition appelé à prendre fin lors de la cession à titre onéreux, du rachat, du remboursement ou de l'annulation soit des titres reçus en rémunération de l'apport, soit des titres apportés à la société bénéficiaire si la cession de ces titres intervient dans les 3 ans de l'apport.

Néanmoins, le report d'imposition est maintenu lorsque la société bénéficiaire de l'apport cède les titres dans un délai de 3 ans à compter de la date de l'apport mais prend l'engagement de réinvestir dans une activité commerciale au moins 60 % du produit de leur cession dans un délai de 2 ans. Il en est de même lorsque la société bénéficiaire de l'apport réinvestit ce produit dans certaines structures de capital investissement qui ont vocation à investir elles-mêmes à hauteur de 75 % au moins de leur actif dans des PME opérationnelles. Enfin, le report d'imposition est maintenu en cas d'échanges successifs placés sous un régime de report ou de sursis, y compris lorsque les titres apportés sont placés sous un des anciens régimes de report optionnels (CGI art. 150-0 B ter).

En cas de donation des titres reçus en rémunération de l'apport, la plus-value en report est imposée au nom du donataire en cas de cession, d'apport, de remboursement ou d'annulation des titres dans un délai de 5 ans (porté à 10 ans lorsque les titres apportés ont été cédés par la société bénéficiaire et ont fait l'objet d'un réinvestissement indirect) à compter de la donation, sauf en cas de licenciement, d'invalidité ou de décès du donataire ou de son conjoint ou partenaire de Pacs soumis à une imposition commune. La plus-value en report est également imposée au nom de ce même donataire lorsque la société bénéficiaire de l'apport cède les titres apportés dans les 3 ans à compter de l'apport sans procéder à un réinvestissement économique du produit de la cession.

Dans le cas où la société bénéficiaire de l'apport n'est pas contrôlée par l'apporteur, l'imposition de la plus-value résultant de l'« échange » des titres corrélatif à l'opération sera automatiquement reportée à la date où s'opérera la cession, le rachat, le remboursement ou l'annulation des nouveaux titres. Ce sursis d'imposition se transformera en exonération définitive si les titres reçus lors de l'échange sont transmis par succession ou donation, sauf s'il s'agit de dons ouvrant droit à la réduction IFI-dons (CGI art. 978).

Dépôt des titres sur un CPI. Le compte PME innovation (CPI) permet aux dirigeants qui cèdent leurs titres en vue de réinvestir le produit de la vente dans de jeunes PME de bénéficier d'un report d'imposition global de leurs plus-values nettes, après imputation des moins-values (CGI art. 150-0 B quinquies). Les plus-values ou moins-values réalisées dans le CPI sont prises en compte lors du retrait de tout ou partie des liquidités.

Ce dispositif est soumis à des conditions d'application très strictes qui concernent à la fois la société dont les titres sont inscrits sur le CPI (il doit s'agir d'une PME créée depuis moins de 10 ans), le titulaire du compte (il devait détenir une participation d'au moins 25 % dans la société ou y exercer une fonction de direction) et les PME susceptibles d'être financées (en principe, des PME créées depuis moins de 7 ans satisfaisant aux conditions d’éligibilité à la réduction d’impôt Madelin). La loi impose en outre au titulaire du compte d'accompagner ces PME dans leur développement.

Comme les autres gains en capital, le gain net imposable est soumis au PFU ou, sur option globale, au barème progressif (CGI art. 150-0 B quinquies).

Le régime du CPI présente deux avantages principaux par rapport au dispositif d'apport-cession de l'article 150-0 B ter du CGI :

  • il permet d'éviter les coûts de création et les frais de fonctionnement d'une société holding ;
  • il autorise une compensation globale des plus-values et moins-values à la date de retrait des liquidités du CPI, alors que le régime de droit commun ne permet d'imputer les moins-values que sur des plus-values de la même année ou des 10 années suivantes.

En revanche, le CPI permet uniquement de reporter la taxation des plus-values alors que le report d'imposition prévu par l'article 150-0 B ter du CGI concerne aussi les prélèvements sociaux.

À noter. Cette différence de traitement, autant que la complexité du dispositif, expliquent sans doute la faible utilisation constatée du compte PME innovation.

Préparer la transmission

Ce qui détermine un dirigeant à préparer la transmission de son entreprise est généralement, avant tout, la volonté d'obtenir que, malgré la division du capital entre ses héritiers, la société puisse conserver une unité de direction sous la conduite de la ou des personnes désignées pour lui succéder. L'examen des mesures à prendre à cet effet peut en outre révéler l'opportunité, si la société est parvenue à un certain degré de diversification, de constituer des entités distinctes pour l'exploitation des différents secteurs concernés. Il existe des solutions pour concilier ces deux objectifs.

Créer une société holding de contrôle

Un transfert de pouvoir. L'opération qui consiste à apporter une participation majoritaire à une entité nouvelle créée pour détenir cette participation (société holding) a pour effet de transférer le pouvoir à cette nouvelle entité et, par voie de conséquence, aux associés majoritaires de celle-ci, ce qui vient réduire sensiblement le montant des capitaux exigés pour assurer le contrôle de la société concernée. Cela peut se révéler fort utile dans l'éventualité où, au décès du dirigeant, des héritiers viendraient à céder tout ou partie des titres recueillis par succession.

Exemple. Une société holding a été constituée par des apports de participations représentant au total une participation largement majoritaire (80 %) dans le capital de la société d'origine. Pour que le contrôle de la société d'origine soit maintenu au profit des héritiers continuateurs au sein de la holding, il suffit que ceux-ci conservent plus de 50 % des droits dans cette holding bien que leur participation indirecte dans la société d'origine soit alors tout juste supérieure à 40 % (80 % × 50 %).

Afin de faciliter le maintien d'une participation familiale forte dans la société holding (ou dans la société d'origine en l'absence de holding), le créateur de l'affaire pourra souscrire, seul ou avec d'autres associés, un engagement collectif de conservation des titres dans les conditions prévues à l'article 787 B du CGI.

Des conditions d’engagements de conservation des titres. Ainsi, les transmissions de titres de sociétés holdings animatrices de groupe peuvent bénéficier d’une exonération de droits de succession ou de donation, à hauteur de 75 % de leur valeur et sans limitation, sous conditions, notamment, d’engagements temporaires de conservation, collectif et individuel.

Pacte « Dutreil » : exercice de l’activité jusqu’au terme des engagements

La loi de finances rectificative pour 2022 a légalisé la condition d’exercice d’une activité opérationnelle par la société dont les titres font l’objet d’un pacte Dutreil jusqu’au terme des engagements de conservation (Loi 2022-1157 du 16-8-2022 art. 8 ; voir LMA Hors-série septembre 2022).

Cette mesure, qui légalise la doctrine administrative (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 25), a pour effet de faire obstacle à la décision de la Cour de cassation du 25-5-2022 qui a jugé que la perte par une société holding de sa fonction d’animatrice de groupe postérieurement à la transmission ne remet pas en cause l’exonération partielle, la loi n’imposant pas qu’une telle société conserve son rôle d’animation jusqu’au terme des engagements de conservation (Cass. com. 25-5-2022 n° 19-25.513).

Cette clarification est conforme à l'esprit du pacte « Dutreil », dont l’objectif principal est d'encourager la transmission des entreprises et le maintien de leurs activités opérationnelles.

Ce dispositif anti-abus s’applique aux transmissions intervenant à compter du 18-7-2022.

Il concerne également de manière rétroactive les transmissions intervenues avant cette date et répondant aux conditions cumulatives suivantes :

  • l’un des engagements de conservation (collectif, unilatéral ou individuel) est en cours ;
  • la société exploitante n’a pas cessé d’exercer une activité industrielle, commer­ciale, artisanale ou agricole.

 

Caractère prépondérant de l'activité. Par ailleurs, le caractère prépondérant de l’activité d'animation est retenu lorsque la valeur vénale des titres des filiales représente plus de 50 % de son actif total (Cass. com. 14-10-2020 n° 18-17.955). Mais la seule référence à l'actif brut immobilisé n'est pas un critère pertinent pour qualifier la prépondérance de l'activité d'animation d'une société holding.

 

L’appréciation de la prépondérance de l’animation

Ainsi, la cour d’appel de Paris a jugé que la prépondérance de l'activité d'animation d'une société holding exerçant une activité mixte s'apprécie en effet au regard de la valeur des titres des filiales effectivement animées au jour de la transmission, mais également de celle d'autres actifs affectés à l'activité d'animation (CA Paris 24-10-2022 n° 21/00555, voir Focus de la LMA n° 420, janvier 2023). Le critère de la valeur de la participation animée n'est donc pas exclusif, et d'autres actifs peuvent être retenus. La trésorerie, un portefeuille de valeurs mobilières, un ensemble immobilier, des créances de participations sont ainsi susceptibles d'être pris en compte, sous réserve qu'il soit démontré qu'ils sont affectés à l'activité d'animation. La constitution d'une société holding présente, sur le plan juridique, une seconde particularité favorable, liée à la possibilité de lui faire adopter la forme d'une société civile ou d'une société en nom collectif en vue d'inclure dans ses statuts une clause d'agrément des futurs associés. C'est un moyen pour les dirigeants de conserver le contrôle d'une société dont ils ont introduit les titres en bourse.:

 

 

Exemple. Pour continuer sur le même exemple, l'actionnaire d'origine à 80 % peut en effet sans risque mettre sur le marché jusqu'à 29 % du capital de sa société si la participation familiale restante (51 %) est à l'abri au sein de la holding familiale.

Avantages fiscaux. Sous réserve de placer la société holding, sur option, sous le régime de l’IS, ses associés bénéficient de substantiels avantages fiscaux. D'abord, le régime d'exonération attaché à la qualité de société mère permet à la holding de recueillir les dividendes qui lui sont versés sans autre charge fiscale que celle résultant de la réintégration d'une quote-part de frais et charges fixée à 5 % (ou à 1 % en cas de distributions intragroupe ou assimilées) du montant brut de ces dividendes.

Ensuite, les fondateurs de la société holding ont, du fait du statut fiscal de celle-ci, la possibilité d'échapper à l'imposition de la plus-value dégagée par l'apport de leurs titres aussi longtemps qu'ils conserveront la participation reçue en échange. Ce sursis d'imposition peut également être maintenu, sous certaines conditions, en cas de cession par la société holding elle-même de tout ou partie de la participation reçue par elle en apport.

Séparer les activités

Avec ou sans l'appoint d'une structure de contrôle, la décision de fractionner les activités exercées par la société existante peut constituer une utile mesure préparatoire à sa transmission (autant qu'une solution opportune sur le plan de l'organisation et du fonctionnement). Des unités de petite dimension constituent en effet des cibles plus accessibles pour un candidat à la reprise qu'un ensemble de taille importante.

Le régime des apports partiels d'actif (CGI art. 210 B) permet de réaliser la filialisation des activités moyennant une neutralité fiscale satisfaisante, bien qu'imparfaite. On regrettera en particulier que la loi laisse subsister une double imposition économique de la plus-value d'apport au niveau de la société bénéficiaire des apports puis de la société apporteuse.

Par ailleurs, le régime des groupes (CGI art. 223 A et s.) permet à la société existante de conserver la possibilité de compenser les résultats bénéficiaires et déficitaires des sociétés qu'elle a créées et dont, par hypothèse, elle détient 95 % au moins du capital.

© Lefebvre Dalloz