Le caractère distinctif d’une marque s’apprécie au jour de son dépôt

Le caractère distinctif d’une marque s’apprécie au jour du dépôt au regard de la connaissance du terme contesté auprès du public concerné, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de la généralisation ultérieure de ce terme, à moins qu’elle n’ait été prévisible au jour du dépôt.

Une plateforme numérique titulaire de la marque « lekiosque.fr » propose, sur le site du même nom, des abonnements et l’accès à des journaux et à des magazines. Estimant notamment que les marques « monkiosque.fr - monkiosque.net » et « monkiosque », appartenant à un concurrent, sont dépourvues de distinctivité, elle en demande l’annulation. Le concurrent forme à titre reconventionnel une demande en contrefaçon de ses marques par l’usage du signe « lekiosk » par la plateforme.

La Cour de cassation écarte la nullité des marques et fait droit à la demande en contrefaçon du concurrent aux motifs suivants.

Le caractère distinctif de la marque s’apprécie au jour du dépôt au regard de la connaissance du terme contesté auprès du public concerné  ; en l’espèce, il n’était pas démontré qu’à la date des demandes d’enregistrement des marques « monkiosque.fr - monkiosque.net » et « monkiosque », le terme « kiosque », qui renvoie à l’abri édifié sur la voie publique dans lequel on peut acheter des journaux et magazines (selon le dictionnaire Larousse de 1955), permettait au public concerné d’établir un rapport immédiat et concret avec les services d’abonnement et de distribution de journaux et périodiques en ligne, et ce même si le terme « kiosque » est ici employé en association avec le pronom possessif « mon ». Au contraire, les articles de presse entre 2000 et 2006 adjoignaient au terme « kiosque » les adjectifs « numérique » ou « électronique », ce qui montre que le public ne pouvait pas faire un rapprochement immédiat entre l’expression « monkiosque » en elle-même et les services en question.

A cet égard, la généralisation actuelle de l’appellation « kiosque » dans le secteur de la distribution de la presse en ligne est inopérante pour apprécier le caractère distinctif du signe « monkiosque » au moment du dépôt des marques, la plateforme n’ayant pas soutenu qu’à cette date il était raisonnable d’envisager qu’il devienne descriptif des services visés.

À noter

1o Sont notamment dépourvus de caractère distinctif (CPI art. L. 711-2, dans sa rédaction antérieure à Ord. 2019-1169 du 13-11-2019, applicable en l’espèce) :

  • les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;
  • les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de services.

Ces signes, qui ne remplissent pas la fonction essentielle de la marque, peuvent donc faire l’objet d’un refus d’enregistrement ou d’une annulation de la marque pour défaut de distinctivité, à moins d’avoir acquis un caractère distinctif par l’usage. En revanche, le signe simplement évocateur d’un produit visé dans l’enregistrement n’est pas descriptif de ce produit (Cass. com. 7-7-2021 no 19-16.028) et est donc susceptible de constituer une marque valide.

Pour apprécier le caractère distinctif d’une marque, il faut se placer au jour du dépôt. Il s’agit d’une solution que la Haute Juridiction a eu l’occasion de rappeler à plusieurs reprises (notamment : Cass. com. 4-10-2011 no 10-16.994 ; Cass. com. 26-10-2010 no 09-16.262) et qui est à notre avis transposable sous l’empire de l’article L 711-2 du Code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction en vigueur depuis l’ordonnance 2019-1169 précitée. De la même manière, la Cour de cassation a déjà jugé que la généralisation d’une appellation dans le secteur des produits ou services désignés dans l’enregistrement, postérieure à ce dernier, est inopérante pour apprécier le caractère distinctif du signe au moment du dépôt (Cass. com. 26-10-2010 no 09-16.262 précité, à propos de l’appellation « spa »).

2o Au cas présent, l’usage par la plateforme du signe « lekiosk » ayant été jugé contrefaisant des marques de son concurrent « monkiosque.fr - monkiosque.net » et « monkiosque », le transfert au profit de ce dernier des noms de domaine « lekiosk.fr » et « lekiosk.net » a été ordonné à titre de réparation.

 

Cass. com. 6-12-2023 n° 22-16.078

© Lefebvre Dalloz